TLmag 36 / Tout est Paysage

La question de la genèse du jardin de l’homme, de son genius loci est au coeur de la nouvelle édition de TLmag 36, dirigée avec l’architecte de paysage Bas Smets. Les paysages qui s’ouvrent à nous au fil de ces pages sont le fruit de témoignages de grands penseurs, artistes et paysagistes et visionnaires d’une terre en mutation. Le mystère et l’identité de la vie, l’enchantement du bois sacré ou du temple de la nature font partie de cette quête de compréhension de nous-mêmes et de notre monde en devenir. L’osmose avec le paysage, l’attrait des couleurs et de la matière, la conscience et l’acceptation de notre fragilité pourraient nous guider vers une vie meilleure si seulement nous écoutions encore mieux la terre et la force de ses éléments.

TLmag_True Living of Art & Design est une publication bi-annuelle bilingue et un magazine en ligne reconnu à l’international dans les domaines de l’art et du design. Publiées en français et en anglais, chaque édition porte sur un thème spécifique.

Tout est Paysage

Bas Smets : “Ces dernières années, nous avons fait l’expérience en temps réel des conséquences d’une hausse des températures de 1 °C qui s’est traduite par des phénomènes climatiques extrêmes comme des inondations sans précédent et des mégafeux. Selon le GIEC, les dix années à venir vont être cruciales pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Nous devons repenser en profondeur la manière dont nous habitons cette planète.

Je suis convaincu que la notion de paysage nous offre une ressource essentielle pour imaginer de nouvelles façons d’organiser notre existence dans ce monde. D’abord, le paysage est une manière d’imaginer le monde, puis de le réorganiser. Le mot a été inventé au XVIe siècle pour nommer un nouveau genre d’art pictural. Les premiers peintres de paysages ne visaient pas une restitution réaliste de la nature, ils visaient plutôt la représentation d’une réalité idéalisée obtenue par la composition et l’organisation d’éléments naturels. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que la notion de « paysage » soit utilisée pour décrire la réalité physique, en faisant appel à des concepts provenant de la peinture de paysages. L’architecture paysagiste peut alors être comprise comme la conséquence logique de la peinture de paysage. Elle partage son objectif d’inventer de nouvelles façons d’organiser le monde. Et tandis qu’un tableau dépeint une réalité idéalisée « in visu », l’architecture paysagiste transforme la réalité « in situ ».

En tant qu’architecte paysagiste, j’essaie d’imaginer de nouvelles façons d’agencer le territoire qui puissent profiter à toutes les formes de vie. Chaque projet donne lieu à l’invention d’un monde nouveau. La relation avec la science et l’art est cruciale dans ce processus de création. Ensemble avec ma partenaire Éliane Le Roux, qui occupe depuis douze ans la fonction de directrice artistique au sein de mon studio, nous avons créé un univers de références dans lequel nous puisons pour concevoir de nouveaux paysages.

En tant que curateur invité de TLmag, j’ai souhaité que ce numéro représente cet univers particulier afin de révéler la capacité du paysage à soutenir l’émergence d’un monde nouveau. Nous avons invité trois philosophes afin qu’ils nous exposent leur point de vue sur le paysage : Alain Roger, François Jullien et Emanuele Coccia. Je me suis entretenu avec Piet Oudolf. Quatre photographes nous présentent différents types de nature : les forêts humides du nord-ouest du Pacif ique de Yoshihiko Ueda, les photographies de la forêt amazonienne de Sebastião Salgado, le pergélisol de Walter Niedermayr et nos paysages belges façonnés par l’homme saisis par l’oeil de Michiel de Cleene. Katrien Lichtert aborde la question de l’invention de la peinture de paysage dans les Pays-Bas historiques, tandis qu’Andrea Wulf écrit sur l’invention de la nature décrite par Alexander von Humboldt. Joelle Zask écrit sur le phénomène récent des mégafeux, et Kathelin Gray nous ramène à l’époque du laboratoire de Biosphère 2 et de ses possibilités de recherches sur le changement climatique. Nous avons également recueilli les contributions de Rei Naito, pour qui le paysage est une scène de vie sur terre, de Roni Horn, Thierry De Cordier, Etel Adnan, Lee Ufan et Rebeca Méndez, qui interagissent avec le paysage sur lequel ils travaillent.

Ces contributions, et bien d’autres dans ce numéro, donnent lieu à la création d’un univers d’interdépendances qui explore les possibilités concernant l’état actuel de notre planète, mais aussi son devenir. Tout est paysage.”

TLmag36