Philippe Bonnin, lauréat du Prix Littéraire René Pechère 2020

Fondé en 2008 en hommage au célèbre architecte de jardins belge René Pechère, le Prix éponyme met en lumière des livres francophones qui se sont distingués dans les domaines du jardin et du paysage. La remise des trophées 2020 de ce prix littéraire s’est tenue ce mercredi 9 juin 2021 dans les jardins du Musée et Jardins van Buuren dans le strict respect des règles sanitaires. A cette occasion, deux auteurs ont fait l’objet d’une gratification: Philippe Bonnin, lauréat désigné pour son ouvrage Katsura et ses jardins – Un mythe de l’architecture japonaise, et Eric Alonzo, mention spéciale pour son essai L’ Architecture de la voie – Histoire et théories.

 

Le Prix René Pechère francophone est organisé tous les 2 ans en alternance avec le prix néerlandophone. En un peu plus d’une décennie, ce prix littéraire a acquis une dimension internationale à travers toute la francophonie (France, Belgique, Suisse…).

Le Prix littéraire René Pechère a été créé par l’asbl Bibliothèque René Pechère. Aujourd’hui, le Prix est organisé conjointement par cette asbl (qui a modifié son nom en Comité René Pechère depuis qu’elle ne gère plus la Bibliothèque) et le Centre bruxellois d’Architecture et de Paysage (CIVA). Il a pour vocation de mettre en lumière un livre d’excellence dédié à l’art des jardins et du paysage. Pour répondre aux exigences définies par le règlement, les auteurs pré-sélectionnés doivent répondre à 3 critères essentiels : texte original en français, rigueur scientifique, qualité du style et de l’iconographie.

Cette année, pas moins de 43 ouvrages ont été pré-sélectionnés, dont 21 soumis au Comité de lecture et d’organisation qui a présenté 6 ouvrages à la délibération du jury. Ce jury pluridisciplinaire présidé par François Chaslin est constitué des personnalités suivantes : Florence André, Alexandre Chemetoff, Nicole d’Huart, Nathalie de Harlez, Barbara de Nicolaÿ, Nicolas de Villenfagne, Michael Jakob, Yaron Pesztat, Ursula Wieser Benedetti et Didier Wirth.

Katsura, chef-d’œuvre des jardins japonais

Le jury a accordé le premier prix à Katsura et ses jardins – Un mythe de l’architecture japonaise de Philippe Bonnin (Arléa, Paris, 2019, 335 pages). Les jurés ont voulu souligner aussi l’excellence d’Arléa, une maison d’édition qui accorde de nombreuses publications à des architectes.

Architecte français, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, Philippe Bonnin est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur l’architecture, l’habitat rural autant qu’urbain, sur l’espace du Japon comme de la France. Il est également connu comme le fondateur de Japarchi (Réseau scientifique thématique de chercheurs francophones sur l’architecture, la ville et le paysage). Un de ses derniers ouvrages, Le Vocabulaire de la spatialité japonaise (CNRS), a reçu le Grand Prix de l’Académie d’Architecture.

Quant à son livre dédié à Katsura – fruit de 5 années de travail -, avec le talent et la sensibilité qui le caractérisent, l’auteur nous emmène vers la vérité d’une oeuvre mythique, parfois poétique, augmentée d’une valeur esthétique originale.

La visite de Katsura, villa impériale classée « bien culturel du Japon », sise en bordure de la rivière du même nom, met en lumière la découverte d’un domaine constitué de jardins, de quatre pavillons et d’une villa. Cet espace de quelque 58.000 m2 est limité par une haie de bambous noirs entrelacés et par une clôture constituée de branchages élevés sur des poteaux plantés dans le sol. Impossible de ne pas ressentir un éblouissement au milieu de ce jardin et des pavillons de thé qui bordent l’étang central, édifié au XVIIe siècle par le prince Toshihito. Katsura incarne l’image du raffinement, bénéficiant par là même d’une magnifique mise en valeur architecturale, à la fois pure et dépouillée. Véritable objet d’inspiration, la réinterprétation de cette architecture si particulière par les architectes du mouvement moderne, au début du XXe siècle, a engendré nombre de quiproquos. Ils voyaient la villa Katsura comme « plagiat par anticipation » des postulats modernistes.

Si le jury du Prix Pechère 2020 a couronné le livre de Philippe Bonnin, c’est avant tout pour souligner l’écriture d’un « ouvrage raffiné dont la langue et l’écriture se déploient avec lenteur et s’accordent presque à l’idée du pas, du cheminement, pour tenter de saisir l’esprit du lieu. Philippe Bonnin déconstruit certains mythes occidentaux qui ont entouré les jardins japonais… en empruntant une voie originale : la littérature… Quant à l’édition, sa grande modestie reflète la sobriété des lieux ».

L’Architecture de la voie

Le jury a décerné une mention spéciale à L’Architecture de la voie – Histoire et théories de Eric Alonzo (Parenthèses, Marseille, 2018, 525 pages), un ouvrage déjà couronné du Prix de la meilleure thèse en architecture.

Architecte français et docteur en architecture, Eric Alonzo enseigne à l’Ecole d’Architecture de la Ville et des Territoires à Champs-sur- Marne, où il codirige le post-master en urbanisme. Il a publié, en 2005, Du rond-point au giratoire (Parenthèses) et a fondé, avec Sébastien Marot, la publication Marnes, Documents d’architecture. Sa thèse a reçu l’European Prize Manuel de Solà-Morales en 2017.

Revenons à son essai distingué par une mention dans le cadre du Prix Pechère 2020. Nos paysages revêtus de goudron et d’asphalte, sillonnés de routes, d’artères et de périphériques, forceraient la pensée à n’envisager, de la « voie », que les aspects technique et fonctionnel. C’est pourtant une autre de ses dimensions, plus inattendue, que révèle cet ouvrage. Elevée au statut d’objet d’architecture, indissociable d’une quête du beau, la voie n’y est plus l’affaire des seuls ingénieurs. Monumentale, sublime ou pittoresque, dédiée à la flânerie piétonne, aux cavalcades ou au trafic automobile, la voie est aussi celle de l’architecte, du paysagiste et de l’urbaniste. A la lumière des 3 paradigmes de l’édifié, du jardin et du flux, cette traversée du temps long, de l’antiquité romaine jusqu’aux dispositifs actuels, revient sur l’évidence des tracés (chemin, rue, autoroute, rail, parkway…), et en restitue l’épaisseur historique et théorique. Tout en exhumant une tradition qui unissait les savoirs et les métiers liés à l’aménagement, ce volume démontre combien la voie reste un élément permanent et constitutif du paysage, capable de s’adapter ainsi aux reliefs, virages et perspectives de l’Histoire.

Si le jury du Prix Pechère a porté son regard sur ce thème, ce n’est pas l’effet du hasard : « l’exceptionnelle qualité iconographique du livre (peintures, photographies, extraits de revues, plans), ainsi que la fine adaptation d’un texte, à l’origine destiné à une diffusion académique, s’ouvrent ici à un public plus large, malgré un ton et style qui auraient pu être encore plus littéraires ». L’auteur « défend une thèse encore peu entendue, à savoir que la voie constitue un élément structurant dans l’élaboration et la définition du paysage. C’est également le plus bel ouvrage publié par l’éditeur Parenthèses qui fait preuve d’une grande finesse dans la mise en relation entre éléments iconiques et textuels. Cet ouvrage fera date et mériterait de devenir une lecture obligatoire dans les écoles de paysage ».

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