L’impact du confinement sur notre rapport aux espaces publics

La période de confinement que nous connaissons est une situation unique pour les générations actuelles, et en tout cas une “grande première”. A-t-elle modifié certaines de nos habitudes, ainsi que la perception de notre quotidien ? Il est trop tôt pour établir des conclusions hâtives sur le long terme. Mais la Maison de l’Urbanité a profité de cette période pour lancer une enquête afin de recueillir le ressenti des citoyens au moment-même du confinement, en ce qui concerne leurs rapports aux espaces publics.

 

L’enquête, anonyme et ouverte à tous, s’est déroulée du vendredi 17 avril au dimanche 3 mai, au moyen d’un questionnaire à remplir sur internet. Le confinement officiel ayant débuté le 18 mars en Belgique, cela correspond grosso modo aux 5ème et 6ème semaines de confinement, juste avant que ne débute le dé-confinement progressif.

Nous avons récolté 406 réponses. Ce nombre nous semble suffisant pour dresser quelques tendances, tout en restant humble face aux limites du procédé. L’enquête fut diffusée via notre mailing et notre site Facebook, ainsi que relayée par plusieurs partenaires dont les Maisons de l’Urbanisme de Wallonie. Nous sommes conscients de ne probablement pas avoir touché de manière identique toutes les couches de la population et toutes les sensibilités d’opinion. Les résultats en restent néanmoins intéressants.

Les résultats

Parmi les 406 répondants, 60,6% estimaient être confinés dans une zone urbaine et 39,4% dans une zone rurale. Nous avons analysé les résultats pour les “urbains”, pour les “ruraux” (nous les appellerons ainsi par soucis de simplicité), ainsi que pour l’ensemble des répondants. Nous mettrons en avant les résultats globaux lorsqu’aucune différence significative entre les urbains et les ruraux ne méritera d’être relevée. Nous détaillerons dans le cas contraire. Par contre, les visuels ci-dessous sont tous divisés entre urbains et ruraux.

Hors des 8 principales questions de l’enquête, 5 faisaient appel directement aux ressentis des répondants. Les choix laissés correspondaient à “Oui, tout-à-fait d’accord”, “Oui, assez d’accord”, “Parfois”, “Non”, “Sans avis”.

Des ressentis à nuancer…

À la question “La restriction de ne pas pouvoir se rendre souvent à l’extérieur semble-t-elle ennuyeuse ou déprimante ?”, la réponse la plus largement exprimée est “Parfois”, à 36,2%. Il est également intéressant de noter que 33,1% des ruraux ont répondu par la négative pour seulement 17,1% des urbains !

Cette différence de sensibilité se révèle d’autant plus criante à la question de savoir si “la crise fait ressentir un besoin accru d’espaces publics de qualité”. Pour les urbains, 45,9% répondent “Oui, tout-à-fait” et la somme des trois réponses affirmatives totalisent chez ceux-ci 84,1%. Par contre, pour les ruraux, pas moins de 45% répondent par la négative !

Sans surprise, à la question de savoir si “nous ressentons plus le besoin d’espaces verts (publics ou privés) qu’avant la crise”, 46,1% des répondants ont répondu “Oui, tout-à-fait d’accord” (48,8% d’urbains et 41,9% de ruraux). Mais là aussi une différence notable se démarque pour le “Non” : 11,8% chez les urbains et 23,8% chez les ruraux.

Les réponses urbaines et rurales sont par contre très similaires lorsqu’il s’agit d’estimer si “l’expérience de la nature (ou de la verdure) est bénéfique”, 69,2% ont répondu “Oui, tout-à-fait”, tandis que seuls 2% ont répondu négativement.

Elles sont aussi fort similaires en ce qui concerne la question : “La marche ou le jogging vous sont-ils bénéfiques ?” où 61,8% sont “Tout-à-fait d’accord” (à noter les 6,2% de réponses négatives et les 6,4% qui ne savent pas ou ne se sentent pas concernés).

La découverte d’espaces publics proches !

Le libellé suivant questionnait : “Vous êtes-vous rendu dans des espaces publics de votre quartier ou vous n’étiez jamais ou rarement allé auparavant ?”. Une majorité de 56,2% ont répondu par la négative (50% d’urbains et 65,6% de ruraux). 29,5% ont répondu “Oui”. Quant aux 14,3% restants, ils ont répondu qu’ils se rendent dans les mêmes espaces publics, mais plus souvent.

Au-delà de la réponse majoritaire, il n’est pas anodin de remarquer qu’un petit tiers des répondants ont “découvert” pendant ce confinement des espaces publics qu’ils ne fréquentaient pas (ou rarement) auparavant. Rapporté à l’échelle d’une population, cela peut potentiellement faire beaucoup.

Les pouvoirs publics et les espaces publics

L’avant-dernière question se présentait ainsi : “Pensez-vous qu’après la crise, votre pouvoir communal devrait investir davantage dans la qualité de l’espace public de votre quartier afin que chacun trouve des lieux agréables pour rester à l’extérieur dans son propre environnement ?”. Sans surprise, la réponse la plus communément cochée était “Oui, tout-à-fait d’accord” à 48,3%.

Néanmoins, une lecture plus détaillée des résultats nous renseigne à nouveau sur une nette différence urbain/rural : alors qu’une écrasante majorité des urbains sont soit “Tout-à-fait d’accord” (57,7%), soit “Assez d’accord” (27,2%), ne laissant que peu de place aux “Parfois” (6,9%), “Non” (7,3%) et “Sans avis” (0,8%) ; les résultats des ruraux sont beaucoup plus partagés, même si la tendance générale reste la même : 33,8% sont tout-à-fait d’accord, 33,8% sont assez d’accord, 11,3% répondent “Parfois”, 18,1% “Non” et 3,1% sont sans avis.

La seconde partie de cette question demandait aux personnes ayant répondu favorablement ci-dessus ce qu’ils souhaitaient voir réaliser dans leur quartier/village. Ils pouvaient cocher parmi plusieurs propositions existantes et/ou dévoiler leur propre proposition.

Dans les propositions existantes, les urbains ont surtout souhaité “encourager la marche et le vélo”, “construire des passages pour piétons et cyclistes” et “améliorer le contact avec la nature”. Les ruraux, eux, ont essentiellement exprimé leurs souhaits de “créer plus de mobiliers urbains (bancs, espaces de détente, …)”, “encourager la marche et le vélo” et “améliorer le contact avec la nature”. Parmi les autres choix, notons également la différence entre l’envie de “remplacer les pavements par de la verdure”, plus grande chez les urbains qui se sont exprimés à cette occasion que chez les ruraux.

Enfin, 90 répondants ont ajouté leurs propres propositions aux choix énoncés. La plupart de ces idées peuvent se rassembler dans une des trois catégories suivantes : une volonté de plus de nature et d’espaces verts ; une préoccupation face à la mobilité (en défaveur de la voiture) ; un souci envers plus de propreté ou d’entretien. Notons enfin que le souhait de créer de nouvelles places, parcs et jeux pour enfants s’avère légèrement plus prononcé chez les répondants en milieu rural.

Vers un changement de notre mode de vie ?

La dernière question portait sur nos comportements d’après-crise : “Pensez-vous que votre mode de vie va changer après cette crise ?”. La réponse la plus souvent choisie fut “Oui, assez d’accord” (37,9%), suivi de “Parfois” (29,8%). Les moins convaincus (“Non”) rassemblaient 14,3% des réponses tandis que les plus motivés (“Oui, tout-à-fait d’accord”) totalisaient 11,1%. Enfin, le choix de l’indécision (“Je ne sais pas”) fut coché par 6,9% des répondants. Ici, aucune différence notable entre les milieux de vie.

À nouveau, une seconde partie proposait une liste de changements possibles à ceux qui avaient répondu par l’affirmative. Ces derniers avaient également la possibilité de rédiger leur propre réponse, en plus ou à la place des autres options.

En première place, loin devant les autres choix, figure le souhait de “réaliser plus d’achats locaux”. Vient en deuxième lieu la volonté d’”augmenter le télétravail”. Enfin, toutes les autres propositions sont fort proches (“plus d’attention aux expériences écologiques”, “plus d’utilisation du vélo”, “marcher plus”, “plus d’attention aux habitudes alimentaires”, “plus de détente locale”). Enfin, “réaliser moins de déplacement” et “voyager moins” font partie des choix présents, mais moins pointés par les répondants. Notons à ce propos que les ruraux ont comparativement plus émis leur volonté de “moins de déplacements” que les urbains.

Nous avons également reçu 41 propositions libres à cette question. La majorité d’entre elles peuvent être rangées dans les 3 catégories suivantes : des souhaits d’évolution en profondeur de la société et de son fonctionnement, très souvent combinés à la crainte que tout redevienne comme avant ; des témoignages du soin déjà apporté à ces thématiques avant la crise (donc pas d’évolution pour ceux-ci, mais une confirmation de leurs engagements) ; des résolutions pour porter une plus grande attention à leur entourage (famille, voisins, …).

Source: Maison de l’Urbanité

Article paru dans le Cahier de l’Espace Public n°34 (juin 2020)