L’impact de la dynamique urbaine sur les arbres urbains: pourquoi faut-il laisser vieillir les arbres en ville ?

Pour rendre les villes agréables à vivre, la présence d’arbres urbains est très importante. Leur effet rafraîchissant, leur capacité à absorber l’eau et leur effet positif sur notre niveau de stress sont indispensables dans les villes. Les arbres urbains nous protègent contre le climat urbain de plus en plus extrême. Mais l’infrastructure grise urbaine est en constante évolution en raison de l’embellissement des rues commerçantes, de la construction et de la rénovation de maisons et d’appartements ou du renouvellement des lignes de services publics. Or, les arbres urbains ont besoin d’un support stable. Ce qui est en contradiction avec la nature dynamique de l’infrastructure urbaine. Dans cet article, nous examinons ce que ces dynamiques urbaines signifient pour les arbres du centre-ville de Roulers, en Flandre occidentale.

Villes vivables : l’importance de la forêt urbaine

Les villes sont en constante évolution. Cette évolution s’accompagne de conséquences positives (par exemple, la prospérité) et négatives (par exemple, la formation d'”îlots de chaleur”). L’idée de base des villes est de rendre ce développement durable. Le concept de ville accueillante est essentiel à cet égard. Une ville vivable offre un environnement dans lequel les habitants se sentent en bonne santé physique et mentale, ainsi qu’en sécurité. La forêt urbaine est un écosystème composé de tous les arbres des parcs, des rues et des jardins. C’est précisément cet écosystème qui fournit un cadre de vie sain et sûr. Comme les arbres peuvent modifier l’environnement, on peut dire qu’ils sont des ingénieurs de l’écosystème. Leurs services, tels que le refroidissement de l’air, sont indispensables pour que la ville reste hospitalière et abordable.

Pour que les arbres soient rentables et que leurs services soient pleinement utilisés, il faut qu’ils puissent vieillir/

© Hogeschool VIVES

Permettre décemment aux arbres de vieillir

Pour  leur rentabilité et leur pleine utilisation, les arbres doivent pouvoir vieillir. En effet, l’impact de leurs services est proportionnel à la masse de leur couronne. Ainsi, plus la couronne est grande, plus l’impact est important. En effet, la couronne des feuilles assure l’évaporation. Les experts en arboriculture appellent cela maximiser les services écosystémiques. Par conséquent, plus la période pendant laquelle l’arbre a une couronne volumineuse est longue, plus ses “services” sont rentables. Ce graphique illustre ce phénomène. Effet théorique de l’entretien sur les bénéfices (vert) et les coûts (rose) des arbres au cours de leur cycle de vie. L’objectif est de maintenir les bénéfices aussi élevés et aussi longtemps que possible dans le temps, comme le montre la figure (maximisation). (Adapté de Vogt, Hauer et Fischer, 2015) 

Le message clé ? Les arbres doivent être fonctionnels et ne plus être considérés uniquement comme esthétiques dans les projets (de prestige).

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Vivre vite, mourir jeune !

Comme nous l’avons déjà souligné, la dynamique d’une ville est diamétralement opposée aux exigences des arbres. Mais quel est l’âge réel des arbres urbains ? Il faut veiller à ne pas se limiter à l’âge moyen. Cela peut être trompeur, car longévité des arbres  peut fausser la moyenne et donner l’impression que l’âge est plus élevé. Il est plus judicieux d’utiliser la demi-vie. La demi-vie est “la période au cours de laquelle la moitié des arbres plantés devraient mourir”.

De nombreux arbres urbains n’atteignent qu’environ 20 % de leur espérance de vie.

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Appliqué aux arbres de rue, cela signifie malheureusement que l’espérance de vie moyenne d’un arbre en espace public se situe entre 13 et 20 ans. De nombreux arbres urbains ne subsistent que pendant 20 % de leur espérance de vie. En comparaison, cela équivaut à un adolescent de 16 ans. C’est peut-être une bonne nouvelle pour les pépiniéristes et les entrepreneurs de jardins, mais planter des arbres qui ne peuvent pas vieillir est dépassé et inutile.

Dix ans de politique de l’arbre à Roulers

Le laboratoire de foresterie urbaine de l’école supérieure (UFL) VIVES de Roulers a étudié l’impact de cette donnée dans le stock d’arbres, qui assure justement la viabilité de nos villes. L’UFL a détecté une quarantaine d’emplacements publics dans le ring intérieur où des modifications de l’infrastructure grise ont eu un impact sur les arbres. Pour ce faire, nous avons pris une photo avant et après et ensuite  analysé cinq cas. L’évolution est clairement visualisée sur une carte interactive que vous pouvez consulter via ce code QR. https://storymaps.arcgis.com/stories/54038d8a245c4c36ac7c45e063b2a313.

Pour illustrer notre propos, nous allons examiner trois cas dans le but de “faire vieillir les arbres”.

Cas 1 : Agrandir les nouvelles fosses de plantation

La Gitsestraat a été réaménagée en 2023 avec des espaces de stationnement perméables et de nouvelles fosses de plantation, démontrant ainsi les ambitions vertes de la ville. Approfondissons :  au fond de la fosse de plantation, nous rencontrons une couche imperméable, illustrée par la formation de flaques d’eau. Il s’agit en fait d’une nappe d’eau dépourvue d’oxygène dans laquelle les racines meurent. Ce qui entraîne l’arbre à une dépense accrue d’énergie pour son développement racinaire, cause de son affaiblissement et favorise son dépérissement. Le choix d’un emplacement aussi néfaste est dû à deux raisons. L’entrepreneur n’est pas un expert forestier et il n’y a pas ou pas assez de contrôle. Si nous voulons que les arbres vieillissent, nous avons besoin d’experts en arboriculture compétents qui savent comment identifier les bons emplacements et effectuer des contrôles sur le terrain.

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Cas 2 : Protection des arbres pendant les travaux

Au cœur de la ville, au fond de la place près de la Monnaie, un parc dissimulé avec d’énormes vieux hêtres forme une oasis de verdure. En 2021, l’entrepreneur a entamé un projet de construction à grande échelle avec un parking souterrain. Ce projet menaçait l’emplacement de ces arbres, car ils auraient moins d’espace et la nappe phréatique serait abaissée. La ville de Roulers décida de faire appel à un expert forestier, qui  défendit les droits de ces arbres pendant la conception et la construction. L’arbre “a  pu s’exprimer”. Après deux ans de travail, le résultat est impressionnant : les arbres monumentaux sont ainsi préservés et  relativement en bon état ; il n’y a pas de compactage du sol et une couche de sol enrichi d’ humus a été ajoutée. C’est la seule façon de permettre aux arbres de vieillir malgré les travaux. Le message  est qu’un expert en arboriculture peut effectivement faire la différence pendant la phase de conception et de construction en plaçant l’arbre au centre de la conception ainsi que pendant les travaux.

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Le message ici est qu’un expert en arbres peut effectivement faire la différence pendant la phase de conception et de construction en plaçant l’arbre au centre de la conception et pendant les travaux.

Cas 3 : Arbres et citoyens

Si les arbres parviennent à atteindre leur maturité malgré tous ces problèmes, l’objectif n’est pas de réduire leur couronne sous prétexte de nuisance. Si la ville élague les arbres de la Handelsstraat, ces arbres n’offriront plus le maximum de leurs “services”. Le tilleul de la photo devrait avoir une couronne au moins deux fois plus grande. Il ne s’agit donc pas seulement de laisser vieillir le plus grand nombre d’arbres possible, mais de préserver le volume de leur couronne et de leur permettre de grandir. Une idée qui doit germer solidement dans la tête des citoyens et des politiciens. Le volume de la couronne est l’élément essentiel.

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Nécessité d’une communication structurelle

La communication structurelle concerne donc la communication professionnelle dans le cadre de la gestion de projet. La conception d’espaces publics est un défi pour les architectes (paysagistes) et les ingénieurs en raison de la complexité technique et logistique. Pour faire vieillir un arbre, il faut (beaucoup) de connaissances techniques, comme l’illustrent les trois cas. Mais surtout, l’expert en arboriculture ou forestier  doit être structurellement intégré dans la gestion du projet, du début à la fin. Un concepteur reçoit beaucoup de bagages dans sa formation. Mais la connaissance des arbres et de leurs milieux de croissance est si spécifique que nous ne pouvons pas ou ne devrions pas attendre d’un concepteur qu’il possède également une connaissance approfondie de ce domaine.

Pour que l’expert en arboriculture se trouve au bon moment au bon endroit, il faut que nous ayons une situation d’urgence. Tant que les citoyens, et donc les hommes politiques, ne verront pas l’importance des arbres et de leurs services écosystémiques, qui sont l’un des éléments clés des villes vivables, équivaudrait à mettre un emplâtre sur une jambe de bois. Tous les propriétaires d’arbres ont donc une responsabilité partagée dans la création d’une ville vivable. De plus, et ce n’est pas négligeable, les citoyens sont de plus en plus responsabilisés, ce qui conduit à des procédures de suspension de permis. L’implication d’un expert en arboriculture dès le début d’un projet permet d’éviter des pertes de temps inutiles. 

Impliquer un expert en arboriculture dès le début d’un projet permet d’éviter des pertes de temps inutiles.

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Message à retenir

L’essentiel est de laisser suffisamment d’arbres vieillir. Les grandes couronnes ont un impact important et fournissent donc des services écosystémiques plus importants. Le changement climatique oblige les villes à utiliser les arbres pour rendre l’environnement vivable. Pourtant, dans la pratique, il reste encore beaucoup à faire en raison du manque de connaissances techniques sur les arbres lors des phases de conception, de construction et de gestion, d’une part, et de la communication structurelle, d’autre part. Si la plantation de nouveaux arbres peut avoir un effet à long terme, il ne faut pas oublier d’agir également à court terme. La préservation des arbres existants constitue dès lors une approche très efficace.


Texte : Bregt Roobroeck, Green Management & Tree manager, chercheur Urban Forestry Lab
Matériel visuel : Hogeschool VIVES